Conductors / Oshodi Oke, 2018

2 caissons de raisonnance peints, 2 haut parleurs


Le caractère disparate des réalités urbaines d’aujourd’hui, façonnées par les flux migratoires et les incidences continues de la globalisation, est au cœur de l’œuvre d’Emeka Ogboh.
Qu’entend-on dans cette installation ? Une voix. Ou plutôt une même voix dédoublée, ici et là. Elle parle en nombres et en noms propres, lieux qui s’égrènent comme si nous assistions à un voyage, en vérité à plusieurs. Rien ne bouge pourtant. Si l’on se déplace un peu dans l’espace, si l’on s’approche des boîtes suspendues aux murs comme des tableaux, on se rendra compte que les voix viennent de là, que les cercles noirs au milieu des planches de bois jaune sont des haut-parleurs, que l’on peut voir vibrer si l’on s’approche encore un peu plus. Deux tableaux vibrants et parlants, habités par une voix qui voyage, passe d’un lieu à un autre, traverse des paysages qu’on doit déduire des noms prononcés.
De chaque côté des cercles centraux, deux lignes noires parallèles divisent en deux les planches de bois jaune. C’est le signe distinctif des bus qui relient Lagos, capitale du Nigeria et mégalopole portuaire, au pays voisin du Niger. Il y a de Lagos à Niamey, capitale du Niger, près de 1 200 kilomètres de routes et tout un pays à traverser. La voix est celle d’un des chauffeurs de ces bus. Et l’on comprend qu’elle est notre guide dans ce voyage immobile. Les noms de lieux qu’elle égrène sont les étapes du parcours. Pour celles et ceux qui ont l’habitude de faire le trajet, ils sont des images diversement colorées nourries par les souvenirs. Pour celles et ceux qui viennent d’ailleurs, ce sont des mots d’une langue étrangère, le yoruba, mais leur chaîne asignifiante devient, si l’on s’attarde suffisamment, une petite musique litanique, un cas involontaire de poésie sonore – La Poinçonneuse de Bernard Heidsieck vient soudain à l’esprit et les stations du métro parisien se superposent à celles des bus nigérian.



Bastien Gallet, 2024