Compositrice, artiste et musicienne largement reconnue par-delà le monde de l’art, Holly Herndon travaille depuis 2013 avec l’artiste et chercheur en technologies Mathew Dryhurst. Leurs projets communs inventent de nouvelles formes de collaboration avec les outils numériques, interrogeant la place de la surveillance automatisée et des intelligences artificielles dans les recoins les plus intimes de la vie contemporaine. La défense d’un Internet décentralisé, qui met en jeu les limites du copyright et de l’idée même de propriété artistique, inspire nombre de leurs œuvres récentes. Ainsi, Holly + (2021) est un protocole de partage de la voix même de Herndon – synthétisée sous la forme d’un deepfake pleinement opérationnel –, pouvant alors devenir un matériau s’intégrant à d’autres réalisations.

Herndon et Dryhurst comptent parmi les premiers artistes à avoir conçu des projets visuels avec l’IA générative, en particulier les générateurs texte-image. I’m here 17.12.2022 5:44 a été composée à l’issue d’une épreuve personnelle difficile, après que Herndon est tombée dans le coma en donnant naissance à leur enfant, prénommé Link. Le récit de cette expérience extrême, enregistré dans les jours qui ont suivi son réveil, sert de voix off et de prompt pour la génération d’un ensemble d’images qui ont ensuite été retravaillées pour créer une animation. Erratique et discontinu, le déroulement visuel construit avec la narration chargée d’émotion de Herndon un dialogue inattendu et tout en contrastes, tantôt anticipant les mots, tantôt arrivant en rebond de la voix. Plus encore, les artistes donnent ici à voir les divers visages que prend la génération visuelle, tour à tour floue ou hyperréaliste, capable de produire des variations infinies à partir d’une même source textuelle. Si les IA génératives puisent au répertoire de données sans cesse changeant de l’Internet, Herndon et Dryhurst élaborent à travers cette œuvre une écriture complexe, délibérément instable, dévoilant la vulnérabilité de la mémoire, les frontières glissantes du soi et l’inquiétante intensité visuelle de la création artificielle.

Marcella Lista, 2024